La rémunération obligatoire des stages, vraie ou fausse bonne idée ?
- Régis Wunenburger
- il y a 18 heures
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Depuis 2008, pour promouvoir l’insertion professionnelle de leurs étudiants, les formations d’enseignement supérieur incluent des stages, c’est-à-dire des séjours dans le milieu professionnel correspondant à leur formation au sein d’entreprises ou d’établissements publics. Durant ces stages qui se déroulent souvent en fin de cursus de formation, les stagiaires se voient confier une mission qui leur permet de découvrir concrètement l’activité professionnelle à laquelle ils se destinent, de compléter leur formation par la pratique professionnelle, d’initier leur réseau professionnel et même parfois d’être repéré puis recruté dans la même structure à l’issue du stage.
Ces stages font toujours explicitement partie du cursus de formation, ils sont évalués conjointement par les enseignants et les tuteurs des stagiaires, et cette évaluation entre en compte dans la note conditionnant l’obtention de leur diplôme. Corrélativement, depuis 2010 il est interdit de prendre un étudiant en stage sans qu’il soit inscrit à une formation préparant à un diplôme et sans que le stage fasse explicitement partie du cursus de formation. Enfin, un stage ne peut occuper plus de six mois d’une année de formation. Du point de vue légal, un stagiaire est donc clairement un étudiant en cours de formation et pas un employé. Ceci dit, le stage présente un caractère ambivalent puisqu’il se situe à la frontière entre la formation et la pratique professionnelle et qu’il constitue une partie de la formation assurée non par des enseignants mais par des professionnels de la branche à laquelle l’étudiant se destine
De fait, depuis l’instauration des stages, de nombreuses structures d’accueil, publics ou privées ont malheureusement pris l’habitude d’utiliser les stagiaires comme des employés en leur confiant des missions inadaptées à la formation de l’étudiant : trop cruciales pour la structure ou trop opérationnelles pour être assimilables progressivement par l’étudiant, trop répétitives ou trop peu élaborées pour être formatrices. Certaines profitent de la valeur ajoutée des stagiaires en s’en servant comme de jeunes professionnels temporaires et négligent l’importance de l’aspect formatif du stage et de leur rôle de formateur. Parfois même, elles prennent régulièrement des stagiaires pour assumer chroniquement une même mission, qui devrait être donc confiée à des employés permanents, et pratiquent ainsi une forme de dumping social interne en remplaçant des employés par des stagiaires.
Pour forcer les structures accueillant les stagiaires à reconnaître et à récompenser leur valeur ajoutée souvent réelle au-delà d’une durée incompressible d’adaptation et de formation in situ et à réparer ainsi l’injustice que constitue l’exploitation de certains stagiaires, en 2011 le législateur a imposé que les stages de plus deux mois soient gratifiés à hauteur d’un montant mensuel minimal d’environ 600€. C’est de cette obligation, bonne en apparence, que je souhaite discuter ici.
Tout d’abord, notons que certains stagiaires étaient déjà rémunérés avant 2008 par les entreprises des secteurs les plus lucratifs, dont la finance, afin d’y attirer les meilleurs étudiants. La gratification obligatoire n’a donc pas constitué une nouveauté pour tous les secteurs. Devait-elle être étendue à tous les secteurs et à tous les types de stages ?
Un bienfait crucial de la gratification obligatoire est qu’elle permet à un étudiant de gagner de l’argent de manière plus pertinente qu’en étant « serveur à Mac Do » durant ses études et en particulier de couvrir une partie des frais associés à une mobilité géographique éventuellement occasionnée par le stage. La gratification constitue donc une aide à la mobilité et contribue donc à l’émancipation des étudiants et à l’égalité d’accès à l’emploi. Mais plusieurs dispositifs d’aide sociale existent par ailleurs pour les étudiants les plus modestes et certains établissements de formation défrayent aussi leurs étudiants qui effectuent une mobilité géographique coûteuse pour effectuer leurs stages.
Quelle est actuellement la part des stages rémunérés ? Pour tirer un maximum de profit des stagiaires, les structures d’accueil privées ou publiques privilégient des stages de durée la plus longue possible et font usuellement pression sur les formations pour qu’elles fassent la plus grande place possible au stage. En effet, ce n’est qu’une fois initié à sa mission que le stagiaire est productif, donc plus les stages sont longs, plus la part de sa période d’improductivité est réduite. De ce fait, tous les stages de niveau master durent plus de deux mois. Et avec l’obligation de gratification, le temps, c’est encore plus d’argent. La pression sur les formations pour maximiser la durée des stages a donc évidemment augmenté avec l’instauration de la gratification obligatoire et il en résulte un chantage à l’embauche des étudiants en stage dont j’ai été personnellement le témoin. Or la durée du stage ne devrait pas être déterminée à l’aulne de l’utilité du stagiaire pour la structure d’accueil mais plutôt de l’utilité du stage dans le dispositif de formation. Premier effet pervers.
Par ailleurs, le stage faisant partie du cursus de formation, tout étudiant doit absolument décrocher un stage pour obtenir son diplôme. Or les étudiants, notamment ceux dont le profil peu attractif ne donne pas l’impression qu’ils seront assurément générateurs de valeur ajoutée, peinent d’autant plus à trouver un stage que celui-ci coûtera financièrement à la structure d’accueil. Cet obstacle à l’obtention d’un stage induit par la gratification obligatoire est d’autant plus élevé dans des secteurs non lucratifs ou en difficulté, ainsi qu’en période d’incertitude ou de contraction économique, ou bien encore d'indétermination des budgets ministériels, comme c’est le cas actuellement. Reste le réseau relationnel, profondément inégalitaire. Sans pour autant exiger un droit au stage pour tous, son obtention étant une compétence à acquérir comme une autre, on doit convenir que l’assujettissement de l’obtention d’un diplôme, qui est du ressort de l’enseignement supérieur, à la santé d’un secteur ou d’une économie constitue une grave anomalie.
Enfin, avoir imposé une gratification obligatoire au stage, qui reste une activité ambivalente, au nom de la valeur ajoutée potentielle du travail du stagiaire a conduit à un renversement du sens du stage : d’une expérience professionnelle non rémunérée en raison de son caractère formateur mais dégageant accessoirement une valeur ajoutée, il a évolué en un travail sous-payé, permettant accessoirement d’y être formé. Corrélativement, aux yeux de son tuteur, le statut du stagiaire est passé d’un apprenant, collaborateur surnuméraire et gratuit, à un producteur rémunéré sur lequel on compte, et la gratification obligatoire incite le tuteur à avoir moins le souci de le former que d’ « en avoir pour son argent » (concrètement, en renonçant à le prendre en stage, en le cantonnant à des tâches simples et peu formatrices ou en le surchargeant). Cette obligation au nom de la justice sociale a finalement conduit à dégrader encore plus les conditions d’obtention et de déroulement des stages.
Et sur le principe, si l’on pense que la formation devrait être gratuite, ne devrait-on pas l’entendre comme ni payante ni a priori rémunératrice et renoncer au caractère obligatoire de la gratification des stages ?
Reste le surcoût parfois rédhibitoire de la mobilité éventuellement occasionnée par le stage. On pourrait imaginer qu’il soit financé selon sa pertinence et les ressources de l’étudiant par une aide financière versée par les établissements de formation au seul titre de la mobilité occasionnée par le stage.